Laurent, vous êtes directeur de recherche à Inria, ancien directeur de l’infrastructure DARIAH et président de l’ISO/TC 37, un comité technique de l’Organisation internationale de normalisation. Quel est votre parcours et quelle est aujourd’hui votre activité principale ?

Je suis informaticien, ingénieur à Supélec à l’origine. Puis j’ai fait ma thèse sur un sujet à mi-chemin entre informatique et linguistique. Je suis entré au CNRS en tant que chercheur puis je suis devenu directeur de recherche Inria. J’ai coordonné des recherches portant sur des thématiques à l’interface entre linguistique et informatique : dialogue homme-machine, traitement automatique des langues, analyse de documents. J’ai beaucoup travaillé sur la représentation des données, qui est l’un des thèmes centraux de ce que l’on appelle aujourd’hui les « humanités numériques ». Petit à petit, j’ai pris des responsabilités dans le champ de la standardisation et des infrastructures numériques pour les sciences humaines.

 

Pouvez-vous décrire brièvement le projet DOPAMINE, qui a été soutenu par le DIM ?

L’objectif du projet DOPAMINE est de faire état de la part d’attention accordée, au sein du DIM, à la production, la gestion et la diffusion des données numériques. J’ai rencontré beaucoup de partenaires différents aux pratiques très variées, notamment des doctorants et post-doctorants financés par le DIM, mais aussi des responsables d’équipements. L’idée est de dresser un premier diagnostic que je transmettrai au réseau.

 

Comment l’idée au centre du projet DOPAMINE est-elle née ?

Elle est née de l’interaction au niveau européen entre l’infrastructure DARIAH – que je dirigeais jusqu’au 31 août dernier – et la mise en place de l’infrastructure E-RIHS pour les sciences du patrimoine. Il s’agissait de voir comment DARIAH pouvait contribuer à la dimension numérique d’E‑RIHS, en particulier en termes de gestion de données. Et en interagissant plus particulièrement avec les collègues du laboratoire IPANEMA, il nous est apparu nécessaire de faire remonter les besoins précis des utilisateurs, en étudiant les cas concrets des projets portés par des institutions membres d’E-RIHS, plutôt que d’imposer d’emblée un plan général européen. Cette mission m’a permis de mieux cerner ce que recouvrait l’étude des matériaux anciens, par exemple l’analyse physico-chimique des matériaux du patrimoine. Cela a facilité le dialogue avec les différents partenaires du DIM.

 

Vous avez proposé et animé plusieurs ateliers au sein réseau. Quel en est le premier bilan ?

Le bilan est… intéressant ! Ce qui me frappe le plus, c’est que la dimension numérique est très peu considérée dans la plupart des projets de recherche. J’ai pu me rendre compte par exemple que les doctorants, qui manipulent de l’information numérique dans le cadre de leur projet de thèse, ne disposent pas toujours de l’outillage et des méthodes correspondantes pour la gestion de ces données. Tous les aspects de documentation des données ou des logiciels, d’utilisation des standards et d’environnement d’hébergement, sont en dehors de leur « radar ». Et on observe une situation similaire au niveau des institutions. En la matière, tout ou presque reste à faire !

 

Une anecdote insolite sur votre projet à nous raconter ?

Si je devais en choisir une, ce serait celle-ci : lors de l’atelier DOPAMINE à l’adresse des jeunes scientifiques, je leur ai demandé combien d’entre eux documentent les données qu’ils exportent depuis leurs manips. Grand silence… Puis un petit doigt timide se lève : « moi je mets des mots-clés en haut de mes colonnes dans un tableur ». C’est un exemple typique du risque que nous prenons à ne pas former très tôt nos chercheurs aux bonnes pratiques de gestion des données.

 

Que veut dire valorisation pour vous et en particulier dans le cadre du projet DOPAMINE ?

Il existe bien des façons de valoriser la recherche. Pour ce qui est du projet DOPAMINE, je pense que la transversalité inhérente au projet en fait une proposition qui peut être utile à tous. Le rapport que je délivrerai à l’issue du projet pourra aboutir à une forme de valorisation au service du DIM, et je l’espère, une contribution à une future feuille de route numérique pour E-RIHS au niveau européen.

 

Votre activité future dans le DIM : avez-vous des projets avec d’autres membres du réseau ?

Oui, j’ai établi de nombreux contacts avec différentes institutions membres du réseau. Par exemple, nous avons commencé à réfléchir avec le Laboratoire de recherche des monuments historiques, au moyen d’accompagner les équipements récemment cofinancés par le DIM d‘une véritable stratégie numérique, comprenant un environnement normalisé pour la gestion des projets d’accès, le déploiement d’un carnet de laboratoire numérique pour tracer la production et la transformation des jeux de données, ou encore l’identification de solutions d’hébergement. Avec le C2RMF aussi, nous envisageons de travailler à une proposition pratique d’amélioration de la gestion des données. J’espère pouvoir poursuivre ces collaborations avec de telles institutions.

 

Plus généralement, quelles sont vos attentes vis-à-vis du réseau ?

Rester en contact. Cette mission m’intéresse beaucoup et je souhaite pouvoir la continuer, sous une forme ou sous une autre. Je ne couperai pas les ponts dès mon départ !